Astrabreath4000

Durant l’été, j’ai pu observer différentes choses qu’il me semble important de vous partager.

Vous connaissez sans doute la notion de prescription ? Durée au-delà de laquelle une action n’est plus recevable. Généralement, on l’utilise en droit. Mais, pour la bonne compréhension de cette histoire, il faudrait qu’on se mette d’accord sur le fait qu’ici, on ne fait pas référence au droit. Et que ce mot traduira l’idée selon laquelle « durée au-delà de laquelle une vérité, une action, une information, un emplacement n’est plus recevable, n’a plus lieu d’être ».

Gardons cette idée en tête si vous le voulez bien.

En partant de ce postulat, j’aimerais vous mettre en garde car j’ai pu remarquer que, passé un certain délai et dans des conditions particulières, la matière se met à ne plus demeurer au même endroit. Sans modification extérieure.

Comment est-ce possible ? C’est l’objectif de ce texte.

Lorsqu’on dépose un objet, peu importe lequel, il demeure là où on l’a mis, vous en conviendrez.

Je prends la clé de ma boîte aux lettres, je la dépose dans un tiroir. Elle demeure dans le tiroir tant que personne ne la touche, tant que personne ne déplace le tiroir, tant que personne ne fait exploser le bâtiment ou encore tant que la planète ne se fait pas engloutir par un trou noir. Bref, jusqu’ici, j’espère que nous sommes d’accord. Si nous ne le sommes pas (ici ou plus tard), dites-le-moi. Cependant, pour me le dire et faire en sorte que je n’écrive pas ces lignes, il vous faudra faire un tour dans le passé pour m’en avertir avant que j’écrive ces lignes, ou pendant que je les écris. Et juste m’en avertir ne suffira peut-être pas car il faudra, par la même occasion, me convaincre. Et si je suis convaincu que vous avez raison, je modifierai ces lignes. Je m’y engage. Dernière chose à ce propos. Je me trouve sur Encelade le 7 septembre 2042 et il est 14h43, continent 3, proche de la stèle, en face de la maison jaune. Lors du voyage, prenez en considération les variations d’écoulements du temps entre votre emplacement dans l’univers et le mien pour que vous ne tapiez complètement à côté et que je ne m’y trouve plus ou pas encore. Simple mesure de précaution. J’ose imaginer que si vous savez voyager dans le temps (chose impossible pour la civilisation terrienne au moment où j’écris ces lignes), j’ose espérer que vous prendrez en considération ce genre de paramètres liés à la relativité de l’écoulement du temps.

Bref.

Revenons-en à nos moutons.

La vie ne pourrait pas fonctionner si, à chaque fois que l’on pose quelque chose quelque part, sans l’oublier, cette chose se déplaçait. Nous n’aurions sans doute jamais réussi à construire des vaisseaux spatiaux, des accélérateurs de particules ou d’autres grandes réalisations humaines comme les nu-pieds.

C’est vrai, non ? Construire un vaisseau spatial, il faut des pièces spécifiques, des alliages complexes, mais aussi des vis ainsi que des tournevis, etc. Et si, pendant qu’on construit ce vaisseau, on ne trouve plus rien car ce que l’on pose là où on le pose peut ne plus y être, ce serait très, très rapidement horrible.

Jusqu’ici, donc, tout va bien. La preuve : aucune personne n’est apparue pour me dire qu’elle n’est pas d’accord avec ce que je raconte.

Mais c’est ici que tout se complique.

Lorsque l’on met une chose, un objet, un amas de matière qui peut être nommé par les humains, à un endroit. Exemple : un paquet de chewing-gum à la chlorophylle. Si je dépose ce paquet de chewing-gum à la chlorophylle dans un endroit chez moi, admettons dans un placard, et que j’oublie totalement que ce paquet de chewing-gum à la chlorophylle se trouve à cet endroit.

Quand je dis complètement, c’est complètement. La seule chose que je sais, c’est qu’à un moment donné de mon existence, je l’ai possédé et que désormais je ne sais plus où il se trouve.

Faites cette expérience de pensée avec moi. Où est le paquet de chewing-gum à la chlorophylle ? Dans mon conapt (appartement), dans ma voiture ? Tombé lorsque je sortais mes clés dans les charmantes ruelles d’Encelade ? Quand l’ai-je utilisé pour la dernière fois ? Était-ce bien ce paquet ? Ou un autre ? Bon sang, je ne sais plus. J’ai donc OUBLIÉ où se trouve ce paquet de chewing-gum à la chlorophylle.

C’est ici que j’aimerais vous prévenir, vous mettre en garde. Lorsque une chose est déposée à un endroit et que l’on oublie où elle est, que l’on oublie vraiment, il y a prescription sur le lieu où elle se trouve. La durée est de 3 jours, ne me demandez pas pourquoi, je l’ignore pour le moment. Par exemple, il y a quelques semaines, j’ai posé un vieux carnet de notes sur une étagère de mon conapt. J’ai complètement oublié son existence. Trois jours plus tard, en cherchant autre chose, je l’ai retrouvé dans une boîte à outils sous l’évier, un endroit où je n’ai aucun souvenir de l’avoir jamais mis. Selon ma définition de la prescription, l’emplacement du carnet n’était plus recevable après ces trois jours d’oubli, et il s’est comme “déplacé” dans un lieu qui n’avait plus de lien logique avec son point de départ.

Vous n’êtes pas d’accord ? Attendez encore un peu.

Si, lors de l’expérience que j’ai décrite juste avant, vous avez VRAIMENT oublié où se trouve l’objet, vous êtes d’accord pour dire que, quand vous le retrouverez, cela ne vous rappellera pas comment il est arrivé ici puisque c’est un réel oubli. Parfois, l’esprit reconstruit des souvenirs pour qu’il y ait une cohérence. Vous vous direz peut-être : « Ah, ce paquet de chewing-gum que j’avais perdu se trouve ici car j’ai dû le ranger ici la dernière fois et blablabla… » Vous-même n’êtes pas sûr, et personne ne peut l’être à votre place, de ce fait.

Si je dépose mon paquet de chewing-gum à la chlorophylle dans un tiroir dans la cuisine,

Puis j’oublie totalement qu’il est ici, il peut être partout. Si je regarde dans les 3 jours suivant l’oubli dans le tiroir, je retrouverais le paquet de chewing-gum.

Si je ne regarde pas dans le tiroir dans les 3 jours, rien n’empêche de retrouver le paquet dans la boîte à gants de ma voiture.

Mais la nature est bien faite, et généralement, la modification du lieu d’existence de l’objet est toujours un lieu en lien avec la personne qui détenait l’objet.

Je suis content de pouvoir vous partager ça après de longues recherches et…

SSSHHRRRRRRRR

(Individu dans une combinaison spatiale blanche. Ouvre son casque, casque ressemblant fortement aux casques que les astronautes utilisaient autrefois.)

— Bonjour, je viens du futur exprimer mon désaccord avec ce que vous êtes en train d’écrire en ce moment même.

Pour une totale transparence avec mes lecteurs, je poursuis d’écrire ce qu’il se passe.

Nous sommes bien évidemment en direct, au moment où vous lisez ces lignes. Certes, la conversation avec l’individu sera peut-être désagréable pour lui car je dois écrire ce que je pense, ce que je dis et ce qu’il dit. Mais peu importe.

— Bonjour, merci d’avoir fait le voyage. Sachez que j’écris ce que l’on se dit et ce qu’il se passe pour…

— Oui, pour les lecteurs, rétorqua l’individu. J’ai lu jusqu’au bout, je savais que j’allais venir, et ce que j’allais vous dire.

— Vous saviez ? Alors pourquoi être venu ??

— Car je demeure en désaccord avec ce que vous venez d’écrire ! Vous venez de dire que la nature est bien faite ?

— Absolument, répondis-je.

— C’est faux, archi-faux.

— Très bien, argumentez ?

— La nature n’est pas bien faite, car les objets peuvent se retrouver N’IMPORTE OÙ, même et c’est souvent le cas, dans des endroits qui n’ont pas de lien avec la personne qui détenait l’objet !!

— Ah bon ?? Mais alors…

— Oui ! Il se peut que votre paquet de chewing-gum à la chlorophylle ne se retrouve pas dans la boîte à gants, il y a même de grandes chances qu’il ne se trouve pas dans la boîte à gants d’ailleurs. Il peut se retrouver sur Pluton, sur Mercure, ou en plein milieu du Soleil. Ou…

(Une pensée me traversa l’esprit : j’espère que personne n’a oublié l’emplacement d’une bombe nucléaire, elle pourrait apparaître n’importe où et exploser.)

— Comment pouvez-vous affirmer ça ? J’ai l’impression que parfois je retrouve des choses que j’ai perdu et…

— Bien sûr, c’est ce que je pensais moi aussi. Mais votre histoire du paquet de chewing-gum, elle est bien vraie, non ? Vous l’avez égaré, n’est-ce pas ?

— Effectivement.

L’individu fouilla dans une poche extérieure de sa combinaison.

— N’est-ce pas ce paquet-là ?

Ça semblait être un paquet de chewing-gum à la chlorophylle, un de ceux que j’achète, les Astrabreath 4000.

Je répondis tout de même :

— Cela me semble hautement improbable. Ce peut être le paquet de n’importe qui !!

— Je suis d’accord, mais pendant que je lisais votre histoire, quand j’ai vu ce paquet de chewing-gum dans la poche de ma combinaison, j'ai trouvé autre chose avec ne fourrez vous pas tout un tas de petit morceau de papier dans vos poches ?

— Si.. Enfin non.. Je ne sais pas, pourquoi ?

— Vous arrive-t-il de sortir vos chewing-gums de votre poche pour les déposer ? Est-il possible que vous ayez sorti vos chewing-gums et, sans faire exprès, pris avec ce morceau de papier avec votre main par inadvertance ? Ce morceau de papier était en boule, collé au paquet de chewing-gum.

Il me le tendit.

— Ouvrez-le, me dit-il.

Je l’ouvris. Il était inscrit mon nom, mon prénom ainsi que mon numéro de téléphone entouré d'un cœur. J’avais préparé ce papier pour le donner à une androïde inconnue que je croisais tous les matins. Je souhaitais faire tomber ce papier dans son sac, pour qu’elle puisse me rappeler. C’était, je le savais sans doute, la pire manière de rentrer en contact avec quelqu’un, mais ce n’est pas le sujet de ce texte, merci.

En lui disant bonjour, je ne trouvais pas que son « bonjour » était aussi sympathique que je l’aurais aimé, cela prouvant, à presque 100 %, que je n’étais pas à son goût. Donc j'ai abandonné l'idée de glisser ce papier dans son sac. De mauvaises idées et de la lâcheté, un combo parfait … Bref,

C’était bien mon paquet de chewing-gum avec ce mot terriblement honteux.

— L’histoire s’arrêtait quand ? Quand vous la lisiez ? demandai-je.

— Juste ici, quand je répondais « juste ici ».

— Pourtant, vous êtes encore là.

— Oui.

— Que comptez-vous faire ?

— Rentrer chez moi.

— Bien sûr, mais ne voulez-vous pas rester un peu d’abord ? Êtes-vous déjà allé sur Encelade ?

— Non, jamais. À mon époque, Encelade n’existe plus. Elle se trouvait sur le lieu de construction d’un trou de verre créé par les Proxien.

— Restez un peu, qu’en pensez-vous ?

L’individu resta 3 jours.

Il visita la planète, nous échangeâmes longuement.

Au matin du 3e jour, avant de partir, il me dit :

— Sais-tu où j’ai mis ma télécommande de paramétrisation de ma combinaison de voyage temporel ?

— Non, pourquoi ?

— Bon sang…

— Quoi ?

— J’ai totalement oublié où je l’ai mise…

Version podcast

Pour un maximum de plaisir dans les oreilles