
Le Vendeur de Hot-dogs Orbital
Ah, les voyages interstellaires… C’est vrai, ça fait rêver. C’est la possibilité pour l’espèce humaine d’aller rencontrer d’autres civilisations, de découvrir d’autres mondes. Inertes, inhabités, ou au contraire, grouillants de vie.
Peut-être existe-t-il des mondes où la surface est entièrement recouverte d’eau, abritant des civilisations sous-marines. Peut-être existe-t-il d’autres mondes où les champignons auraient évolué, pris conscience, et développé des structures leur permettant de dominer leur écosystème. Et pourquoi pas, de voyager dans l’espace ? Ce qui serait, vraisemblablement, une chose complètement horrible. Car nous le savons, plus un lieu est rempli de champignons, plus ce lieu est effrayant . Alors une planète entièrement dominée par des champignons pensants, c’est une chose d’une horreur cosmique.
Bref. Les voyages interstellaires ont toujours fasciné l’espèce humaine. Nous, des aventuriers, des voyageurs. Avec les avancées technologiques récentes, l’humanité peut désormais voyager à des échelles qui étaient, jusque-là, impossibles. Superbe nouvelle.
Cependant, il faut tout de même penser à différents paramètres que personne n’énonce jamais, et c’est l’objectif de ce document. Ce sera bref, précis, concis. Mais si personne n’en parle, personne ne sera au courant. C’est facile de parler de vaisseaux spatiaux, d’ascenseurs spatiaux et de tout un tas de choses super compliquées, tout en occultant les choses pas très compliquées. Celles dont tout le monde se fout, peut-être, mais qui existent quand même. Et je ne vois pas pourquoi on n’en parlerait pas.
La Mécanique Orbitale
Notons que, lorsqu’une civilisation est en mesure de réaliser des voyages interstellaires, on observe différentes constantes.
La première : pour voyager dans l’espace, il faut amener en orbite une quantité importante de matériel. Et quand il faut amener une quantité importante de matériel dans l’espace, faire décoller des dizaines de fusées n’est pas la bonne solution, car c'est trop coûteux en énergie. Alors, ce qu’il est bon de faire – et ce qui s’observe chez les diverses civilisations – c’est la construction d’un ascenseur spatial.
Un ascenseur spatial, comme son nom l’indique, est un ascenseur qui, au lieu de vous amener au troisième, quatrième ou même au cinquième étage (et attention, on n’en parle pas souvent, mais il peut aussi vous amener au -10e), eh bien là, l’ascenseur spatial vous amène dans l’espace. Depuis la Terre.
La Terre est dotée (ou était dotée?...) de deux ascenseurs spatiaux. Ils nous permettent donc d’amener une grande quantité de matériel en orbite, d’assembler ce matériel et de créer des stations spatiales. Car, je vous vois venir : non, on ne peut pas faire monter et descendre tout le monde tous les jours via l’ascenseur, surtout quand des dizaines de milliers de personnes travaillent en orbite.
Alors on construit des stations, dans lesquelles on héberge les astronautes qui, eux, se chargent de l’assemblage des matériaux, du stockage de la nourriture, de la création de centres de communication, et de l'assemblage des vaisseaux spatiaux en vue de voyages vers d’autres systèmes.
On comprend donc que l’activité humaine en orbite augmente drastiquement. Et vous le savez, lorsqu’on amène plein d’humains à un endroit, certes, ils doivent travailler. Certes, ils doivent dormir. Mais ils doivent aussi passer de bons moments. Pour cela, il y a l’alcool, les cigarettes, et tout un tas d’autres vices.
Mais lorsqu’on travaille, des fois, on a un petit creux. Et c’est ici l’objectif de ce document : aborder une profession qui n’existait pas il y a peu. Une profession portée par une seule personne : Barney Barnet, le seul et unique vendeur de hot-dogs en orbite autour de la Terre.
L'Appétit Spatial
Barney était un ancien astronaute-manutentionniste. Il avait pour objectif de réparer et réaliser la maintenance des différentes structures en orbite. En l’occurrence, lui, il gérait les silos à eau. Il veillait à ce qu’ils ne soient pas transpercés, ce qui engendrerait la mort potentielle de nombreuses personnes. Bref, une tâche partiellement importante.
Barney faisait ce boulot depuis quelques années. Ce n’était pas facile. Et il avait remarqué une chose bien précise : nombre d’autres astronautes devaient sortir des stations pour réaliser des actions manuelles en scaphandre sur les structures en construction.
Et Barney, qui n’est pas plus bête qu’un autre, s’est rendu compte que lorsqu’on travaille dans l’espace, eh bien, ça creuse. Oui, ça creuse.
Vous avez déjà remarqué, par exemple, que lorsque vous passez une journée au bureau derrière un ordinateur, vous avez faim de manière normale. Si maintenant vous passez plusieurs heures à peindre un mur (ou tout autre métier manuel nécessitant un effort physique modéré à intense), vous aurez peut-être un peu plus faim le midi. Mais dans tous les cas, vous aurez toujours moins faim que lorsque vous faites de la natation, que vous avez 13 ans, que vous sortez de la piscine, et que là, il y a des distributeurs. Et dans ces distributeurs, il y a potentiellement l’intégralité de tout ce que vous avez envie de manger.
Fin de la parenthèse. Mais pour vous donner un ordre d’idée, il faut savoir que la faim ressentie après de la manutention dans l’espace se situe entre la faim d’une matinée de peinture et la faim après deux heures de natation.
Remarquant cela, Barney se dit : « Eh bien, puisque les astronautes doivent se balader « dehors » pour réaliser des actions et qu’ils ont, c’est sûr, faim… j’ai qu’à vendre des hot-dogs. »
Car tout le monde aime les hot-dogs. Sinon, un grand magasin de meubles que je ne citerai pas n’en vendrait pas à la sortie. Et on ne verrait pas des vendeurs de hot-dogs dans cette grande ville du pays où il y a le plus de personnes en situation de surcharge pondérale. On ne verrait pas ça si les hot-dogs n’étaient pas quelque chose que les êtres humains aiment manger.
Donc, Barney a pris la décision d’ouvrir son petit stand de hot-dogs en orbite. Pour les astronautes, manutentionnistes, et autres techniciens.
Le Principe de Dysfonctionnement de la Saucisse
Est-ce que Barney a eu du flair ? C’est ce que je vais vous dire.
Le lancement d’une activité commerciale en orbite est quelque chose d’assez flou. La création de la société, l’achat du matériel… tout cela n'est pas régi par des lois classiques, mais par le droit international. Car jusqu’à preuve du contraire, l’espace est à tout le monde.
Donc, lorsque Barney a ouvert son stand – qui s’apparentait à une petite bulle de verre transparente dans laquelle il préparait ses hot-dogs – personne n’est vraiment venu vérifier si les normes de sécurité étaient au point. Personne n’est venu vérifier si la fumée engendrée par les systèmes de cuisson des saucisses ne ferait peut-être pas un peu trop de fumée dans la bulle les jours de grande affluence. Personne n’est venu vérifier quoi que ce soit.
Barney a donc fait ce que tout le monde aurait fait : il a installé sa bulle très proche d’un chantier important. Celui de l’assemblage d'un immense croiseur interstellaire permettant d’amener des colons sur Proxima du Centaure. (Et Dieu soit loué : aucune planète de Proxima du Centaure n'est, à ma connaissance, recouverte de champignons pensants. C'est une appréciation personnelle.)
Quand Barney a ouvert, de nombreux astronautes sont venus se ravitailler. Ils aimaient beaucoup ce stand. Ça faisait du bien, ça se mangeait vite. Il a même mis un "drive" en place, avec un sas. Vraiment, ça tournait bien.
Le souci, c’est que lorsqu’on mange des hot-dogs, on en mange un, deux, trois… et mine de rien, c’est assez salé. Et quand on a soif, on boit. Et dans l’espace, lorsqu’une bande d’astronautes débarque pour manger et qu'ils ont soif, une part non négligeable de ceux-ci souhaite boire une bière.
Jusque-là, rien de neuf sous le soleil. Sauf que, je ne sais pas si vous avez déjà remarqué (si ce n'est pas le cas, essayez une fois de boire avant d’aller au boulot, chose que chaque être humain devrait expérimenter), mais on est quand même un poil moins performant. La performance diminue de manière proportionnelle à la quantité d’alcool ingurgité, avec une perte incompressible de 10 % dès la première goutte. Ces chiffres proviennent d'une étude de la NASA, donc c’est forcément vrai.
Au fil du temps, on a observé une dérive. C’était un marché de niche. Les taxes, ou plutôt les charges, étaient élevées. Il fallait amener les saucisses en orbite. Et c’est super cher d’amener des saucisses en orbite. Ce n’est pas très cher d’amener le pain, la moutarde, le ketchup, les oignons… Mais les saucisses ? Bon Dieu, que c’est cher. (Ne me demandez pas pourquoi, nous traitons déjà de choses assez complexes ici.)
Finalement, c’était un job de cœur. Tout le monde était content. Les astronautes étaient contents. Barney, qui n’aimait pas spécialement être astronaute, était content aussi.
Le souci, c’est que ce qui devait arriver arriva.
Un jour, un astronaute but trop de bières. Cela engendra une erreur de manipulation sur le méga-croiseur interstellaire. Il tira sur une manivelle.
Pas n’importe quelle manivelle. Il y avait écrit au-dessus, en rouge : « ATTENTION. LE SUPER-CROISEUR INTSTELLAIRE À DESTINATION DE PROXIMA DU CENTAURE POINTE ACTUELLEMENT VERS LA TERRE. SI VOUS TIREZ CETTE MANIVELLE, CELA OUVRIRA LES RÉACTEURS PLEIN GAZ LE CROISEUR S’ECRASERA SUR LA TERRE ET L’INTÉGRALITÉ DE LA PLANÈTE, OU DU MOINS UNE TRÈS GRANDE PARTIE, SERA DÉTRUITE. DE CE FAIT, NE TIREZ SURTOUT PAS SUR CETTE MANIVELLE. »
Oui, peut-être que la phrase était trop longue. Mais elle était en rouge. On sait pertinemment qu’une manivelle en rouge avec une inscription rouge juste au-dessus, et bien ! on ne tire pas dessus !
Et cette fois-ci, une personne ayant trop bu a tiré sur cette manivelle.
Comme la phrase le décrivait, l’intégralité du croiseur fondit sur la Terre, engendrant des dégâts colossaux et ramenant la plupart des habitants à un âge préhistorique, ou au mieux, au Moyen Âge.
Les deux ascenseurs spatiaux furent détruits. Les seuls survivants pouvant continuer de vivre à peu près convenablement étaient les personnes dans les stations spatiales autosuffisantes, bien que cette autosuffisance reste très précaire.
Cela n’empêchera pas l’humanité de continuer à se répandre. Espérons juste qu’ils n’auront pas la merveilleuse idée de vendre des hot-dogs en orbite des prochaines planètes qu'ils coloniseront.
Version podcast
Pour un maximum de plaisir dans les oreilles

